Deux semaines après la survenue du coup d’Etat au Niger, la CEDEAO qui avait donné un ultimatum à la junte ayant accaparé le pouvoir dans ce pays peine à y faire valoir son option militaire. Celle-là est déconseillée par certains pays dont les Etats-Unis d’Amérique.
Après avoir dénoncé le coup d’Etat, la CEDEAO,comme elle l’a fait au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, a imposé une série de sanctions au Niger. Ces sanctions font l’objet de diverses appréciations. Le cadre juridique les justifiant est mis en doute. Et pas que. Leur efficacité aussi.
Dans l’opinion internationale, certains analystes émettent des doutes quant à l’efficacité d’une intervention militaire de la CEDEAO pour rétablir au Niger l’ordre constitutionnel rompu depuis le 26 juillet. Si on doute de l’efficacité des sanctions et on remet en cause l’idée de l’intervention militaire au Niger, alors, que doit y faire la CEDEAO ?
De l’efficacité des sanctions
La batterie de sanctions de la CEDEAO contre les ruptures de démocratie est la même partout. Il est permis de dire qu’à ce niveau la CEDEAO manque d’ingéniosité tant les pays sont différents et les mécanismes de transmission de l’effet des sanctions ne seraient pas les mêmes. Ces sanctions comprennent :
1- La fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger
Le Niger, tout comme le Mali, est un pays enclavé. Il est aussi confronté à l’insécurité dans ses parties frontalières avec le Mali et le Burkina Faso. Le Niger partage plus de 1500 Km avec le Nigéria. C’est un pays d’importation et l’essentiel de ses produits importés transitent par le Bénin et le Nigéria, pays de la CEDEAO qui lui ont fermé les frontières.
Il sied de dire que la fermeture des frontières entre les pays de la CEDEAO et le Niger entraînera la flambée des prix des produits alimentaires. Comme au Mali, au Burkina Faso, les solutions de contournement existent. Cependant, les frontières du Mali et du Burkina sont risquées en raison de l’insécurité en vigueur dans ces pays. Les axes du contournement sont les ports d’Alger et les routes menant au Tchad. Niamey étant distant de ces lieux d’approvisionnement par substitution, les coûts de transports feront renchérir les prix des commodités.
Plus les sanctions dures, plus les risques d’approvisionnement deviendront élevés étant donné que les grands axes Bénin et Nigéria sont fermés à cause des sanctions de la CEDEAO.
2- La suspension des transactions commerciales et financières
La CEDEAO est un grand partenaire commercial et financier du Niger. Les exportations nigériennes vont essentiellement dans les pays de la CEDEAO (66, 8 % en 2021) et ces exportations portent sur les produits pétroliers et dans une moindre mesure sur le niébé, l’oignon, les animaux sur pied et la réexportation à destination du Nigéria.
Les suspensions des transactions commerciales et financières entre les pays de la CEDEAO et le Niger auront sans doute des conséquences sur les commerçants et les entreprises de même que les agriculteurs nigériens. Ils réaliseront des pertes énormes à mesure que dureront les sanctions.
3-La suspension du Niger de toutes les formes
d’assistance avec les institutions sous régionales et le gel des avoirs du Niger dans les banques des pays de la CEDEAO
Le Niger a beau amélioré son niveau de mobilisation des ressources internes, il reste encore très dépendant de l’aide étrangère. Cette aide fait plus de 15 % de son budget (selon la Loi de Finances Initiales de 2023). Les autres institutions internationales ont emprunté la voie de la CEDEAO en mettant fin à leurs assistances financières au Niger. L’Allemagne a suspendu son programme d’aide de 120 millions d’euros approuvé en 2021, la France qui avait annoncé une aide de 131,6 millions d’euros en 2022 a suspendu toutes ses aides au développement et au budget. L’aide américaine de 233 millions de dollars promises pour cette année est menacée par le coup d’Etat. L’Union Européenne en plus d’avoir réduit son aide budgétaire au Niger y a rompu sa coopération en matière sécuritaire. Le Nigéria qui assurait 70 % de l’alimentation en électricité du Niger a coupé le courant électrique allant au Niger.
Les projets d’investissement, les projets de développement seront ainsi affectés et de même que le fonctionnement de l’administration publique. Un chômage dit technique pourrait en résulter. Le projet de construction du barrage électrique de Kalandji est deca aux arrêts et aussi celui du Gazoduc transafricain.
Les 14 établissements bancaires du pays et les 6 établissements financiers ne travailleront pas dans les conditions optimales jusqu’à l’épuisement de leurs stocks de liquidités. Le pays ne pourra pas accéder au marché sous régional des obligataires et le défaut de paiement pourrait advenir dans les prochains mois au Niger. Les avoirs du pays à la BCEAO sont gelés.
Etant donné la fragilité structurelle de l’économie nigérienne, l’impact des sanctions n’est pas à négliger. Seulement, les militaires qu’elles visent en premier lieu pourraient ne pas les subir et les populations nigériennes parmi les plus pauvres du monde pourraient en payer le plus fort. Le risque d’aggravation de la pauvreté par le truchement des sanctions est très grand. Selon l’ONU, cette année, 4, 3 millions de nigériens pourraient être touchés par la famine. Leur nombre pourra augmenter au gré du maintien des sanctions et de leur renforcement.
Renverser pour rétablir
Quelques pays ont vivement déconseillé l’option de l’intervention militaire de la CEDEAO au Niger, c’est le cas surtout de certains pays non membres de la CEDEAO et partageant des frontières avec le Niger : le Tchad et l’Algérie, et aussi la Mauritanie, membre du G7 Sahel. En dehors de l’Afrique, les Etats-Unis d’Amérique conseillent la voie diplomatique. Les raisons alléguées par les dirigeants de ces pays sont les risques de généralisation de l’instabilité dans le Sahel, les conséquences sociales, humanitaires et économiques que pourraient engendrer l’intervention militaire de la CEDEAO. Comme ce fut le cas en Libye, la CEDEAO pourra y réussir ses objectifs dont la restauration du Président pris en otage par la junte, mais son intervention ne favorisera pas la stabilité.
L’intervention militaire de la CEDEAO affaiblira les capacités militaires nigériennes. Cette situation sera une aubaine pour les djihadistes pour renforcer leurs positions. A la restauration du Président déchu,il ne pourra plus diriger car le pays entier sera en proie à l’instabilité généralisée.
L’intervention de la CEDEAO fait courir le risque de transformation du Niger en l’Afghanistan du Sahel. La CEDEAO pourrait faire la guerre pour qu’enfin le Président Bazoum ne revienne plus au pouvoir. L’intervention militaire de la CEDEAO mettra sa vie en danger. Au cas où elle échouait, elle attiserait les tensions ethniques et les velléités sécessionnistes surtout chez les Touaregs.
L’intervention militaire des pays de la CEDEAO au Niger donnera l’impression d’une guerre occidentale par procuration. La France dont la politique étrangère est de plus en plus récusée par les jeunes francophones d’Afrique serait encore détestée. Ses intérêts seront de plus en plus menacés au Niger et ailleurs. La CEDEAO à qui il est fait le reproche de n’avoir pas pesé militairement dans la lutte contre le terrorisme au Sahel aura avec cette intervention son image davantage affectée. Si son intervention échouait, la situation sécuritaire déraperait et d’autres pays dont le Tchad et l’Algérie vivraient la guerre à leurs portes.
De la voie sinueuse et incertaine de la diplomatie
Les faux démocrates guinéens ont induit la CEDEAO en erreur et lui ont causé des difficultés. En effet, à la survenue du coup d’Etat contre Alpha Condé le 5 septembre 2021, c’est une certaine société civile guinéenne et certains partis politiques mus par le ressentiment qui s’étaient donné rendez-vous dans les chancelleries sous régionales et occidentales pour plaider la cause du CNRD. Sans nul doute, ils s’attendaient à ce que le CNRD éliminât pour leur compte les membres du RPG et ses alliés. La CEDEAO a fléchi avec leurs supplications et plaidoyers alors elle s’est contentée des seules sanctions. Puis, elle s’est jetée au pied du CNRD qui lui a marché dessus. La CEDEAO a mendié un chronogramme de la transition à la Guinée. Les autorités de la transition lui ont dit sans rien lui concéder : « 24 mois » après qu’elles ont fait 12 mois non décomptés. Après, elle doit concourir sur le plan financier à la réalisation du chronogramme de la transition. Soit elle paie, alors elle ôte des prétextes de ne pas respecter la durée de la transition au CNRD, soit elle ne fait rien alors la durée de la transition sera prorogée en Guinée.
C’est de là que viennent les difficultés actuelles de la CEDEAO. Elle a été molle, accommodante, timorée avec les premiers putschistes et voudra se montrer ferme avec ceux nigériens. L’orgueil nigérien ne voudra pas y céder. La CEDEAO considère leur coup d’Etat comme un de trop. Alors, elle voudra punir ceux qui l’ont commis et faire ce qu’elle n’a fait ni au Mali, ni Burkina, ni en Guinée : faire rétablir le président déchu.
Sa complaisance envers les premiers a affaibli son autorité. Elle ne fait plus peur, le Mali, le Burkina, la Guinée ont éprouvé ses sanctions et les cassandresn’y ont jamais vu juste.
La CEDEAO pourra ne jamais intervenir militairement au Niger, l’évocation de l’option militaire est pour elle un moyen de dissuasion pour amener la junte à libérer le Président Bazoum et pour aussi le rétablir. Il pourra y être libéré sans jamais être rétabli dans ses fonctions de Président. Une transition s’y tiendra conduite par les civils pour une durée raisonnable.
La leçon à tirer des difficultés de la CEDEAO est qu’elle doit œuvrer à lutter contre ce qui conduit aux coups d’Etat, à savoir : les absences de démocratie au sein de ses Etats membres et le terrorisme qui affaiblit les gouvernements. Elle ne devra plus confondre démocratie à l’alternance politique. Dans nombre de ses pays membres, les chefs d’Etat changent les constitutions pour leurs comptes, violent les droits de l’homme et les libertés publiques. Elle doit lutter contre les ruptures de démocratie actuelles et empêcher la survenue de nouvelles. Pour y arriver, elle devra privilégier la voie de la diplomatie, la même qu’elle a utilisée au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. L’intervention militaire est trop coûteuse sur les plans humains,économiques et sécuritaires. En y recourant, elle pourra réussir ses ambitions de renversement des méchants pour le rétablissement du parangon de vertus. Rétabli, il sera docile envers ceux qui l’ont rétabli et revanchard envers ceux qui l’ont fait tomber. Pour éviter cela, la CEDEAO doit privilégier la voie médiane, la seule qui garantit la paix : une nouvelle transition au Niger sans Bazoum et non conduite par le CNSP.
Ibrahima Sanoh
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Last modified: 13 August 2023