Ambassade de Guinée au Libéria

Oumar Kateb Yacine, Président de l’Institut Afrique Emergente: « au Niger, la France est lâchée par ses alliés »

13 August 2023

La crise nigérienne focalise toutes les attentions. Cette semaine, la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) réunie en sommet extra-ordinaire pour la deuxième fois consécutive à Abuja, a ordonné « le déploiement de la force en attente » et réitéré la poursuite du dialogue. Pendant ces temps, d’autres acteurs impliqués tels que les Etats-Unis ou l’Algérie prônent un règlement pacifique de la crise, s’éloignant ainsi de la position française, partisane de la méthode forte pour déloger la junte. Tandis qu’à l’intérieur, le régime militaire a formé son gouvernement et un ancien chef rebelle touareg refait surface pour tenir résistance aux militaires au pouvoir et rétablir le président Bazoum. Ce sont les points saillants de ce décryptage dans cet entretien avec Oumar Kateb Yacine, Président de l’Institut Afrique Emergente, un think tank panafricanise-progressiste.
Mediaguinee: Après l’expiration de son ultimatum fixé à la junte de rétablir le président Mohamed Bazoum dans ses fonctions, il n’y a pas eu une intervention militaire de la CEDEAO au Niger
Oumar Kateb Yacine: Du moins pour le moment, on peut le dire ainsi même si on reste convaincu qu’au fond, une intervention des forces militaires des pays de la CEDEAO ne pourrait être qu’une chimère entretenue par Paris et ses affidés de la sous-région. Étant donné qu’il existe non seulement de la réticence de la part de certains pays, mais la France qui tient vaille que vaille à faire tomber la junte, est aujourd’hui totalement isolée dans sa méthode à l’international. Tout porte à croire qu’elle est lâchée par ses alliés.
 
Comment ça?

D’abord, les autres pays de l’Union européenne présents au Niger se démarquent de tout recours à la force pour restaurer l’ordre constitutionnel. L’Allemagne annonce privilégier le dialogue. L’Italie s’inscrit dans la même logique. Dans les colonnes du journal Stampa, son ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani a été très clair lorsqu’il déclare: « l’Europe ne peut pas se permettre un affrontement armé. Nous ne devons pas être vus comme de nouveaux colonisateurs. Au contraire, nous devons créer une nouvelle alliance avec les pays africains qui ne soit pas basée sur l’exploitation. Nous devons reporter l’option de la guerre … ».
Ensuite, les Américains, qui comptent parmi les putschistes un de leurs favoris, ont bien pris en main les affaires dans cette crise. La sous-secrétaire d’Etat, Victoria Nuland, qui était en tournée africaine, a été dépêchée dare dare  à Niamey, alors que cette étape ne figurait pas dans son agenda. Et, elle a eu deux heures d’entretien avec quatre officiers de haut rang de la junte dont le très proche des Américains, Général Moussa Salaou Barmou, l’ancien patron des forces spéciales, devenu le chef d’état major des armées. Au menu de leurs « discussions franches et difficiles » comme l’admet Mme Victoria Nuland dans son compte-rendu face aux médias, il y avait deux points essentiels chers à Washington: le maintien des forces américaines au Niger et la non installation de Wagner au pays. Un message bien capté par la junte. Par contre, « le retour au pouvoir de Mohamed Bazoum », n’a pas fait l’objet de cet entretien.

Enfin, l’Algérie qui s’oppose à toute intervention armée au Niger, a dépêché son ministre des Affaires Étrangères, Ahmed Attaf, à Washington le 10 août. Il a rencontré Derek Chollet, futur sous-secrétaire d’État à la Défense. De leur entretien dont l’un des points portait sur « l’évolution de la situation au Niger », il ressort dans le communiqué final que les deux parties doivent « coordonner des voies et moyens pour un règlement de la crise nigérienne à l’amiable ». Abdelmadjid Tebboune, chef de l’État algérien dont le pays partage les frontières sur un millier de kilomètres, a déclaré que cette crise ne peut pas être résolue sans l’Algérie.
Donc la présence des forces françaises au Niger est hypothéquée?

On risque d’y arriver au cas où la junte parvient à se maintenir au pouvoir pour une transition plus ou moins longue ou un enlisement de la crise. Déjà, le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) dit que les accords militaires avec la France ne sont plus valables. Une mesure rejetée par Paris qui s’arc-boute sur la non légitimité de la junte. Je pense que la France doit revoir profondément sa politique africaine, notamment dans ses anciennes colonies. Tant qu’elle reste dans la posture de l’ancien colonisateur, sa diplomatie va continuer à enregistrer des revers en Afrique.

Les Américains ne laisseront pas « le champ libre » aux Russes. C’est une question de stratégie géopolitique. Si leurs alliés français sont éjectés, les États-Unis pourraient se mettre en première ligne, en compagnie d’autres pays de l’Union Européenne. Un scénario qui s’avérerait catastrophique pour la France.
Le sommet extraordinaire de la CEDEAO, jeudi dernier a ordonné « le déploiement de la force en attente »

Oui et tout en réaffirmant « sa détermination à maintenir ouvertes toutes les options en vue d’un règlement pacifique de la crise ». C’est un communiqué mitigé. Il fallait contenter le camp de durs (la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée Bissau alignés derrière la France) et celui des partisans du dialogue.

Vous avez dû remarquer que le président Bola Tinibu a mis de l’eau dans son vin, après les multiples sorties de ses compatriotes: les sénateurs, les gouverneurs de différents États du Nord limitrophe du Niger. Le Tchad, une puissance militaire dans le Sahel s’oppose catégoriquement à une intervention militaire. Ndjamena, confrontée aux conséquences de la crise libyenne au Nord et la guerre au Soudan à l’Est, ne peut pas supporter l’ouverture d’un autre conflit à l’Ouest, bien que le Tchad soit le meilleur allié de la France dans cette sous-région.
 
Mais un ancien chef rebelle touareg a créé un Conseil de résistance pour la République qui affirme sa volonté de « réunir tous les moyens nécessaires  » pour rétablir le président Bazoum dans ses fonctions « .
Pour des raisons diverses, je ne pense pas que Rhissa Ag Boula, ancien chef rebelle, ancien ministre d’Etat du régime déchu, pourrait prosperer dans son projet. Même s’il est adoubé par la France via ses médias. Du moins c’est pour créer un foyer de tension et exacerber la crise. Cela peut rappeler le syndrome ivoirien. Paris aurait mieux fait en optant pour le dialogue.
Pourtant les putschistes s’entêtent et sont moins ouverts au dialogue puisqu’ils ont déjà formé leur gouvernement.

La France qui risque fort dans cette crise s’est mise dès les premières heures de ce coup d’état en posture du grand maître et du gendarme dans son pré carré. Paris a multiplié les déclarations incendiaires vis-à-vis des militaires avec des menaces de représailles alors que non loin de là, la junte de Déby a son onction et son appui. Tout comme celle de Conakry bénéficie de nombreuses faveurs de sa part.
La junte de Niamey qui du moins a un fort soutien parmi les populations remontées contre les sanctions inhumaines et iniques de la CEDEAO a formé son gouvernement dirigé par Ali Mahaman Lamine Zeine, un technocrate bien connu de ses concitoyens et originaire de Zinder,  la région du président déchu.

Washington plus pragmatique dans ses décisions a fait ce que Paris devait faire en dépêchant à Niamey une diplomate aguerrie, considérée comme la fille spirituelle de Madelaine Albraight.
La rencontre des chefs d’état-major de la CEDEAO qui a été prévue ce samedi est reportée sine die.
Il se peut qu’on soit résolu à la démarche américaine, privilégier la diplomatie. Certains évoquent aussi un réglage technique. Tout cela semble du bluff. Ces présidents prônant l’intervention militaire sont plutôt hantés par le syndrome de coup d’État. Mais n’oublions pas aussi que la vie du président déchu est en danger. Un recours à la force pourrait lui coûter la vie. Ce que personne ne souhaite.
Ce vendredi, on a assisté à une manifestation de soutien à la junte devant une base militaire française.
C’est de bonne guerre. C’est aux Nigériens de décider leur sort. Seulement, il ne faut pas croire que c’est du bonheur attendu en scandant « à bas la France » tout en brandissant le drapeau russe. Toutes ces puissances étrangères sont pareilles. Les Africains doivent maintenant trouver leur propre chemin en toute indépendance.

L’article Oumar Kateb Yacine, Président de l’Institut Afrique Emergente: « au Niger, la France est lâchée par ses alliés » est apparu en premier sur Mediaguinee.com.

Last modified: 13 August 2023

Comments are closed.