Aboubacar Kondé, spécialiste en macroéconomie et en évaluation des politiques publiques, accupe activement les fonctions de Conseiller à l’Audit et du Contrôle de gestion à la Guinéenne d’Electricité (EDG SA). Dans cette interview qu’il a accordée à Mediaguinee, il jette un regard critique sur le secteur minier, quelques semaines après la tenue d’un symposium au palais du peuple. Interview…
Mediaguinee: Quel est le parcours de Aboubacar Kondé ?
Aboubacar Kondé: De manière succincte, je suis gestionnaire-juriste de formation et j’ai une spécialisation en macroéconomie et en évaluation des politiques publiques de L.E.S (The London School of Economics & Political Science) de Londres, en Angleterre et je suis également certifié de H.E.C (École des Haute Étude de Commerce de Paris) en Finance d’entreprise. J’ai également plus de 24 ans d’expérience professionnelle progressivement acquise dans le contexte local et international dans la gestion intégrative d’entreprise et d’étude d’ingénierie financière et économique des projets publics.
J’ai travaillé pendant 7 ans à Rio Tinto, à Londres dans le cadre du projet d’Etude de faisabilité bancable du projet Simandou notamment sur les questions de passation des marchés d’InfraCo et de MineCo. J’ai également travaillé à l’ACGP (Administration et Contrôle des Grands Projets de Guinée) ou j’ai eu le privilège de diriger différents portefeuilles en l’occurrence la Direction juridique, la direction du contrôle de régularité des procédures de passation des marchés publics et la direction des études d’ingénierie financière et économique des projets publics.
Pendant l’été 2020, sous l’égide de la Banque Mondiale, j’ai pris les rênes de la direction des contrats, achat approvisionnement et logistique de la société Électricité de Guinée (EDG SA) et depuis quelques mois maintenant j’occupe les fonctions de Conseiller à l’Audit et du Contrôle de gestion dans la même structure.
Mediaguinee: La Guinée vient d’organiser la dernière édition de son symposium minier qui, en principe, devrait être, une fois de plus, l’opportunité de vendre ses potentialités minières et attirer plus d’investissement. Selon vous, quels devraient être les canaux économiques et les stratégies d’implication sectorielle que la Guinée doit mettre en place pour mieux bénéficier de ces projets miniers ?
Aboubacar Kondé: La Guinée, sa richesse en ressources naturelles devrait lui permettre de stimuler un développement économique fort et durable.
Je crois qu’il est tout d’abord nécessaire de comprendre qu’il y a quelques aspects pertinents qui caractérisent le secteur des mines en général, en occurrence leur épuisabilité et l’incertitude de ce secteur. Les prix, les coûts, les recettes et la production sont tous incertains et volatiles. En pleine capacité de production, le projet Simandou ne durera que pour 35 ans et 35 ans. Dans la vie d’une nation, c’est très peu. Le projet Simandou devrait être le plus important projet minier, ferroviaire et portuaire en développement dans le monde. Ainsi, il devrait pouvoir apporter une contribution remarquable à l’économie guinéenne. L’économie guinéenne a connu des progrès significatifs en 2020 en dépit de la crise sanitaire mondiale, le PIB était en croissance, l’inflation également en baisse et maîtrisée, la monnaie était stable et les obligations au titre des services de la dette était considérablement en baisse. En dépit de cela, la Guinée restait dans le quartile inférieur de la plupart des indices de développement de l’Afrique sub-saharienne. Les mines guinéennes en général devraient être un catalyseur de transformation intégrative de l’économie guinéenne mais pour l’instant les perspectives ne sont pas très reluisantes. A cela s’ajoute également un problème d’asymétrie d’information entre l’Etat et les entreprises minières qui connaissent probablement mieux la rentabilité potentielle des projets durant les négociations. Mais il y a également un problème de cohérence temporelle entre les différentes parties prenantes aux projets. La Guinée veut développer les projets aujourd’hui et les investisseurs misent sur un horizon favorable à leurs investissements. Je crois que de bons choix stratégiques sont nécessaires pour permettre à la Guinée de mieux bénéficier de ses projets miniers. Mais ces choix stratégiques ne sauraient se matérialiser que par la qualité du capital social guinéen et ses institutions c’est-à-dire la façon dont les institutions économiques, juridiques ou autres sont gérées et leur efficacité pour ce qui est de réduire la corruption.
L’un des canaux économiques que la Guinée pourrait éventuellement mettre en place aussi est d’intensifier la diversification de son économie . Comme la diversification va de pair avec la stabilité macroéconomique, de meilleures possibilités d’emploi et des perspectives de croissance plus durable et soutenue seront réalisées, au lieu de l’instabilité causée par la volatilité observée lors des phases de hausse et de baisse des cours des produits miniers. Il serait aussi essentiel pour la Guinée de mener une politique budgétaire contracyclique donc épargnée en cas d’envolée des cours et de dépenser une partie de cette épargne en cas de chute.
Une autre stratégie consisterait à accroître l’investissement privé et public dans certains domaines et d’un certain type, une transformation pour soutenir les réformes de la gouvernance.
In fine, je suis confiant que toutes ces stratégies et politiques délibérées amélioront la qualité de tout ce que la Guinée pourra produire et exporter, qu’il s’agisse de régir l’environnement économique et institutionnel ou commercial.
Mediaguinee: Les recettes tirées des industries extractives constituent aujourd’hui la principale source du budget. Vous n’êtes pas sans savoir que seule une fiscalité appropriée garantit aux pays une part équitable des rentes tirées des mines. A votre avis, quel régime fiscal ou mécanisme spécifique la Guinée devrait mettre en place pour recouvrer les recettes extractives ?
Aboubacar Kondé: En 2012, le montant annuel des taxes et des redevances versées au Gouvernement par Rio Tinto devrait dépasser 1 milliard USD, soit à peu près l’équivalent du chiffre d’affaires total public. Si le Gouvernement avait choisi d’exercer ses options sur actions, les recettes supplémentaires provenant des dividendes pourraient être tout aussi importantes (avant frais financiers). Mais vous devez savoir que le régime fiscal combine plusieurs instruments de collecte des recettes. Ces instruments sont autant fiscaux comme les impôts sur les sociétés ou des impôts spécifiques que non-fiscaux tels les redevances ou les accords de partage de production. Lors de l’allocution de Monsieur le ministre du Budget pendant le symposium, il n’a mentionné que l’impôt sur les sociétés à un taux de 30% du bénéfice net comme seul impôt imposable aux sociétés minières en dépit d’une forte exemption des droits et taxes déjà octroyés aux investisseurs miniers pour un soi-disant motif d’incitation à l’investissement privé dans le secteur. J’avoue que je n’ai pas compris. Son homologue des mines avait également mentionné la participation gratuite de 15%, d’après lui, qui devrait permettre à la Guinée de collecter 1.5 milliards USD en 2023. J’ai d’ailleurs trouvé déconcertant son modèle de calcul. Au fait, la participation est une retenue à la source des dividendes frappant les bénéfices des projets. Cela me semble à première vue très surprenant. D’ailleurs pour les investisseurs étrangers, imposer sur les revenus au niveau mondial l’IS peut aussi leur faire bénéficier de credit d’impôts dans leur pays d’origine. L’IS lui-même n’est pas un instrument bien ciblé pour capter la rente économique. Ce n’est pas un impôt neutre. Il favorise l’endettement en permettant la déduction des intérêts, sans permettre la déduction pour les distributions d’actions ou de dividendes. Le Liberia, Sénégal, Sierra Leone, Ghana etc appliquent le même taux de 30% d’IS. Mais au-delà de ce taux, ces pays minimisent aussi les exemptions des droits et taxes de manière graduelle et appliquent d’autres régimes fiscaux et non fiscaux au vu du caractère spécifique de l’industrie extractive. Nous devons être conscients que les ressources minières sont épuisable et incertaines. Limiter les recettes collectées à l’impôt sur les sociétés, est inefficace car de nombreuses sociétés minières, dans les transactions transfrontalières risquent d’éroder la base fiscale et favorisent le transfert des bénéfices, ce qui aura un impact considérable sur la base taxable.
Alors quels régimes fiscaux pour la Guinée pour mieux recouvrer les recettes et soutenir sa croissance et son développement ! Nous devons opter pour un régime fiscal qui peut mieux s’adapter à son contexte institutionnel et ses autres priorités. Le régime fiscal est le principal outil de répartition équitable des risques et profits entre l’Etat et les sociétés minières. Bien que les projets peuvent apporter des avantages non fiscaux, en l’occurrence les emplois directs ou les entreprises prestataires, le meilleur des avantages que la Guinée pourrait tirer de ces projets miniers serait par la fiscalité correcte via la collecte raisonnable et équitable des recettes publiques sans pour autant dissuader l’investissement.
En plus de la maximisation des rentes, je crois que la Guinée peut aussi associer 2 types de mécanismes fiscaux : un mécanisme fiscal de capture de la rente n’entraînant pas de distorsion et un autre mécanisme entraînant des distorsions, par exemple une redevance qui procure à un stade précoce des recettes fiables.
Vous savez aussi que la prime de risque d’un pays peut être réduite si le pays donne une impression de stabilité et d’imprévisibilité des conditions fiscales pour le secteur des mines. Ce sont des facteurs qu’il faut prendre en compte.
In fine, le régime fiscal du secteur minier doit trouver un équilibre entre 2 objectifs contradictoires : maximiser les recettes de l’Etat tout en attirant les investissements privés en s’adaptant à l’évolution des circonstances.
Mediaguinee: Quelles sont les diverses retombées que le secteur des mines devrait avoir sur le reste de l’économie guinéenne ?
Aboubacar Kondé: Vous savez que l’économie guinéenne a connu des progrès significatifs en 2012. Le PIB a cru, l’inflation en baisse et le Gouvernement avait également réalisé un allégement de la dette à hauteur de 2,1 milliards USD. En vue de l’élaboration des travaux préliminaires, Rio Tinto avait investi 1,1 milliard USD, le nombre total d’employés guinéens avait dépassé 3 600 et des centaines d’entreprises locales se développaient de plus en plus grâce aux millions de dollars que représentaient les contrats accordés à des entreprises appartenant ou gérées par des Guinéens. Les estimations avaient démontré que le chiffre d’affaires total attendu lorsque le Projet fonctionnera à plein rendement devrait être de l’ordre de 7,6 milliards de dollars par an, soit 30 pour cent de plus que la taille de l’économie guinéenne. Cela en faisait le projet minier le plus important en cours de développement, en termes de production absolue et de production par rapport à la taille de l’économie du pays hôte. Cette valeur ajoutée, celle de la contribution de Simandou au PIB, était estimée à 5,6 milliards USD. Mais il doit rester évident que l’incidence de la main-d’œuvre n’a pas une définition si évidente en termes de revenu réel généré. Voilà en introductif quelques exemples d’impacts sectoriels que pourrait avoir un projet minier bien structuré catalyseur de développement économique.
Mais qu’à cela ne tienne, je crois qu’il est aussi important de mettre en exergue ce que la Guinée est en train de vivre, ce qu’on appelle le syndrome hollandais ou la malédiction des ressources naturelles. La prédominance des productions minières dans le flux des termes de change cause l’appréciation du franc guinéen au détriment de l’industrie manufacturière et autres, parce qu’il reviendrait très cher de vendre à l’extérieur les produits de l’industrie manufacturière locale. Car une croissance soutenue ou le développement durable ne peut se réaliser que par la qualité de production et d’exportabilité de l’industrie locale et l’accès du secteur privé aux crédits. Les ressources minières représentant 80% des exportations de la Guinée, vous conviendrez avec moi que les évolutions des cours des ressources minières ont naturellement un effet majeur sur les gains d’échange de la Guinée. Ce qui, par conséquent, aura un impact sur le pouvoir d’achat du Guinéen.
En conclusion, je crois que le Gouvernement devrait travailler avec les projets miniers pour mettre en place un corridor, maximisant les retombées économiques des projets et en permettant que se réalise le véritable potentiel économique de la Guinée.
Réalisée par Mamadou S.
Last modified: 10 December 2022