Le vendredi 22 avril, le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) a annoncé dans un communiqué à la télévision nationale que l’ancien président de la République, Alpha Condé est libre et peut à sa demande recevoir ses proches et membres de sa famille biologique et politique. A travers cette interview, Oumar Kateb Yacine, consultant-analyste donne son impression et son analyse sur les contours de cette décision de la junte dirigeante
Quelle est votre impression sur la libération accordée à l’ancien Président, Alpha Condé, depuis ce vendredi 22 avril 2022 par le CNRD
Oumar Kateb Yacine : Je pense plutôt à l’allégement de son maintien en résidence surveillée. Le communiqué de la junte dit : « Toutefois, il demeurera à l’actuelle résidence de son épouse jusqu’à l’achèvement des travaux de reconstruction de son domicile privé. Tout en continuant de bénéficier d’une protection adéquate, il pourra recevoir à sa demande les membres de sa famille biologique, politique, des amis, des proches ». Même si le communiqué dit qu’il est libre, aucun autre détail n’a été donné. S’il est vraiment libre, il pourrait circuler, s’exprimer librement. Or, à mon sens tel n’est pas le cas. Alpha Condé, séquestré depuis le 5 septembre sans qu’on ne lui rapprochement de quelque chose par la justice, voit simplement ses mesures de détention allégée. Sans risque de se tromper, on peut dire qu’il est toujours en résidence surveillée mais cette fois-ci dans des conditions moins drastiques.
Alors, selon vous, pourquoi, prendre une mesure en ce moment ?
La décision du CNRD de « libérer » Alpha Condé a des visées. D’abord, répondre à une exigence de la CEDEAO qui brandit le carton de sanction contre le pays, si toutefois la junte ne présente pas un chronogramme ‘’acceptable’’ pour un retour à l’ordre constitutionnel. L’ultimatum de la CEDEAO expire ce lundi 25 avril. Ensuite, la junte cherche à faire des yeux doux au RPG-Arc-en-ciel qui s’est retiré des initiatives du CNRD, notamment du cadre de concertation et des assises nationales. Par sa façon de gérer la transition, l’équipe dirigeante, s’est attirée de plusieurs adversités sans mesurer, peut-être les conséquences. Ces derniers jours, on a fait courir des rumeurs sur un éventuel attelage entre l’ancien parti au pouvoir et l’UFDG, principale force de l’opposition d’hier. Or un tel mariage, ce qui me paraît incongru pour le moment, mettrait la junte dans une position inconfortable. Pour éviter un pareil scénario, les militaires au pouvoir peuvent se dire qu’en annonçant la libération du président déchu, on pourrait amoindrir certains risques de collision. Mais tout le monde n’est pas dupe. Le RPG a plusieurs de ses hauts responsables, suivis par la CRIEF dont certains sont en détention ou sous contrôle judiciaire.
Alors que faut-il faire ?
Pour ce qui est du cas de Monsieur Alpha Condé, je pense qu’il faut faire un franc jeu. Soit le libérer totalement en lui accordant tous ses privilèges d’ancien chef d’Etat, soit de le mettre à la disposition de la justice s’il lui est reproché de quelque chose. Car pendant ses onze années au pouvoir, il y a eu des crimes du sang et des crimes économiques. Les responsabilités doivent être situées, les coupables identifiés et punis à la hauteur de leur forfaiture bien sûr dans le respect de tous les aspects juridiques. Mais, on ne peut pas continuer à le garder comme un trophée de guerre pour en faire un moyen de chantage. Le CNRD, qui a été adoubé par la majorité des Guinéens le 5 septembre et les semaines suivantes, ne peut pas se jouer de l’intelligence de tout le peuple. Quand même !
Les militaires doivent écouter ce peuple. Je suis de ceux qui avaient eu un fort espoir le 5 septembre lorsque j’ai entendu les premiers discours du Colonel Mamadi Doumbouya. Mais près de huit mois de transition, fort malheureusement beaucoup de pratiques reprochées au pouvoir déchu persistent encore. Au-delà des discours et des actes populistes, le tissu social reste fragilisé. Nous sommes très loin de l’Etat-Nation. Des frustrations, on en rajoute encore au nom de la refondation de l’Etat dont le concept me paraît non compris par ses géniteurs eux-mêmes. A cette allure, nous fonçons vers la dérive. Or nous n’en avons pas besoin. Ce pays a toujours souffert de ses élites. Nous concevons des discours pompeux, mais nos actions ne nous n’ont jamais permis de sortir de l’ornière.
Le Colonel Président a dit qu’on ne tolérera aucun agenda personnel. Cette mesure est valable pour tous y compris les actuels dirigeants.
Votre dernier mot ?
Il serait bien de nous éviter des nouvelles tensions inutiles et dévastatrices. On sait là où le Colonel Doumbouya et ses hommes ont pris le pays le 5 septembre 2021. Il ne faut pas nous ramener à une autre situation de crise.
Le simple fait d’annoncer une libération théorique de l’ancien président ne suffit pas pour désamorcer la tension avec la CEDEAO. D’ailleurs, beaucoup de chefs d’Etat ne tiennent plus vaille que vaille à la libération totale de M. Alpha Condé. Mais c’est l’absence d’un chronogramme consensuel pour un retour constitutionnel qui pourrait amener cette institution à sanctionner la Guinée. Or, ce consensus n’est possible que par le dialogue inclusif et franc avec les poids lourds de la politique guinéenne. Une autre démarche ne nous conduirait qu’à l’enlisement de la crise. Si entre Guinéens, on se comprend, on pourrait s’en sortir. Car la CEDEAO, dans sa forme actuelle, n’est plus crédible. Ses décisions sont dictées par Paris et Bruxelles. Elles n’émanent pas de nos vœux, nous les peuples. Des sanctions économiques contre la Guinée et d’autres crises à l’interne auront des effets désastreux pour notre économie fragile et nos populations. Colonel Mamadi Doumbouya et le CNRD doivent réaliser que mener la transition au bon port sans fissures serait salutaire pour le pays.
Propos recueilli par Alpha Ibrahima Diallo
L’article Oumar Kateb Yacine : « Alpha Condé libre ? On a plutôt allégé son maintien en résidence surveillée » est apparu en premier sur Mediaguinee.org.
Last modified: 24 April 2022